Sécurité

« Produire une donnée incontestable pour que les gestionnaires puissent décider »

Clément Delaunay, ingénieur en géomatique, responsable du service BTP - région ouest chez Geofit, accompagne les gestionnaires d’infrastructures dans la surveillance de leurs ponts, viaducs et tunnels. Il détaille un métier où la rigueur de la mesure, la précision des outils et la connaissance du terrain sont essentielles.
Propos recueillis par Samuel Ribot Le dimanche 2 novembre 2025
Clément Delaunay : « Chaque ouvrage a son propre comportement, selon les matériaux qui le composent, son environnement, sa conception ou son âge. » © Aurelien / Adobe Stock

Quelle place occupe aujourd’hui la surveillance d’ouvrages dans l’activité de Geofit (1)?
Clément Delaunay: Nous intervenons sur différents types d’ouvrages d’art: ponts, viaducs ou tunnels, pour le compte de gestionnaires comme la SNCF, les départements ou les sociétés d’autoroutes, qui ont tous une obligation de suivi de leurs infrastructures. Nous n’établissons pas les diagnostics structurels, qui relèvent des bureaux d’études spécialisés, mais nous réalisons les mesures qui permettent de vérifier la stabilité de l’ouvrage dans le temps. Notre rôle, c’est d’apporter une donnée fiable, contrôlée et documentée, pour que le gestionnaire puisse décider en connaissance de cause.

 

En quoi consiste cette surveillance?
C.D.: Il existe deux grands types de suivi. Le premier, c’est le suivi manuel: nos équipes se rendent sur site à des dates précises, installent des points de mesure et de référence, effectuent les relevés et comparent les résultats aux campagnes précédentes. C’est de cette façon qu’on peut détecter une déformation, un tassement, ou au contraire confirmer qu’un ouvrage est stable. Le second, c’est le suivi automatique, quand le gestionnaire souhaite un contrôle permanent. Dans ce cas, on installe par exemple un appareil topographique à demeure, qui effectue des mesures à intervalles réguliers et alerte automatiquement en cas d’évolution anormale. Ce type de dispositif s’impose de plus en plus sur des ouvrages sensibles ou difficilement accessibles. L’objectif étant de pouvoir réagir immédiatement en cas de mouvement.

 

Quelles technologies mobilisez-vous pour ces opéra­tions?
C.D.: Les bases du métier restent les mêmes: nivellement, mesures topométriques, mesures de convergence. La méthode ne change pas, mais les instruments sont plus rapides. On peut également enregistrer des volumes de données beaucoup plus importants qu’il y a dix ans. Mais la grande révolution, c’est le scanner 3D, qui permet de numériser l’ensemble des zones d’un ouvrage et de comparer deux relevés effectués à plusieurs mois ou années d’écart. On obtient une cartographie très fine des déplacements: les zones en mouvement apparaissent clairement, par un jeu de couleurs. C’est particulièrement utile quand on ne sait pas à quel endroit précis se situe le problème. Plutôt que de multiplier les points de mesure, on relève toute la structure et on analyse les évolutions sur le nuage de points complet. On peut ensuite identifier les zones les plus sensibles et, si besoin, installer des cibles pour un suivi plus précis.

 


 

 

CLÉMENT DELAUNAY
«Le monitoring est en plein essor. Il permet d’éviter les déplacements répétés et d’obtenir des mesures beaucoup plus régulières.»

 


 

À quel moment un déplacement devient-il préoccupant?
C.D.: Chaque ouvrage a son propre comportement, selon les matériaux qui le composent, son environnement, sa conception ou son âge. Notre rôle n’est pas de fixer un seuil d’alerte mais de produire une donnée incontestable, en indiquant précisément l’amplitude et la direction du déplacement. Puis le gestionnaire ou le bureau d’études structure interprète ces résultats, avec la certitude que la donnée est fiable, mesurée dans de bonnes conditions et totalement traçable. C’est ce qui fait notre valeur ajoutée.

 

Le terrain doit présenter pas mal de contraintes pour vos équipes…
C.D.: Il y a des contraintes d’accès et de sécurité. Sur les voies ferrées, il faut être habilité et accompagné par des agents agréés. Sur autoroute, on travaille sous balisage, souvent de nuit, pour limiter l’impact sur la circulation. Certaines interventions nécessitent l’emploi de nacelles, le recours à des cordistes ou des équipes spécialisées. Chaque mission est un cas particulier. La météo joue aussi un rôle important. Pour comparer deux campagnes, il faut pouvoir les réaliser dans des conditions proches. Un pont mesuré à 20°C ne réagit pas comme à –10°C: il se dilate ou se contracte, c’est sa respiration naturelle.

 

Vous évoquiez le suivi automatique: c’est l’avenir du métier?
C.D.: Le monitoring est en plein essor. Il permet d’éviter les déplacements répétés et d’obtenir des mesures beaucoup plus régulières en installant des stations totales à demeure, des fissuromètres, ou encore des inclinomètres qui enregistrent les mouvements d’un ouvrage à la fréquence souhaitée. Les données sont ensuite centralisées sur une plateforme web sécurisée qui permet au client de suivre l’évolution de son ouvrage en quasi temps réel, de télécharger les données brutes et de mener ses propres analyses. C’est un vrai changement de culture: on passe d’un suivi ponctuel à une surveillance en continu.

 

Comment Geofit s’organise-t-il autour de ces missions?
C.D.: Le groupe compte environ 900 collaborateurs répartis sur tout le territoire. Dans chaque agence, on a des équipes formées à l’auscultation et à la mesure de précision. Des référents techniques encadrent les projets complexes, le traitement des données et la coordination avec les gestionnaires. On attache aussi beaucoup d’importance aux retours d’expérience. Ce qu’une équipe apprend sur un chantier en Rhône-Alpes peut servir à une autre en Bretagne. On échange en permanence sur les méthodes, les outils, les contraintes rencontrées. C’est ce partage qui fait progresser le collectif et qui nous permet d’améliorer continuellement nos pratiques.

 

(1) Cabinet de géomètres-experts créé en 1968 et devenu le groupe pluridisciplinaire Geofit.

 




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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré à la surveillance des ponts et viaducs dans le magazine novendi n°3, novembre 2025, en consultant notre page «Le magazine».

 


 

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