« La forêt française reste un puits de carbone, mais la tendance est à la baisse »
Les surfaces forestières françaises augmentent, mais cette évolution est contrebalancée par une hausse phénoménale de la mortalité, que vous estimez à 125% en dix ans. À quoi est-elle due?
Stéphanie Wurpillot: Elle est principalement liée à des épisodes répétés de sécheresse et de fortes chaleurs survenus depuis 2017. Ces conditions ont affaibli de nombreux arbres. S’y ajoutent le développement de parasites, notamment les scolytes, des insectes qui ont beaucoup impacté l’épicéa — de loin l’essence la plus touchée — et la progression de maladies comme l’encre du châtaignier ou la chalarose du frêne. Ces trois essences concentrent aujourd’hui la majeure partie de la mortalité. Le changement climatique aggrave la situation: les températures plus élevées accélèrent la reproduction des insectes, parfois en trois cycles par an au lieu de deux, favorisant leur prolifération.
Le Nord-Est semble particulièrement touché...
S.W.: Oui, et cela s’explique. L’épicéa, très présent dans cette région, est une essence de montagne qui a été massivement plantée en plaine après-guerre. Ces peuplements n’étaient pas adaptés à leur environnement. Avec le réchauffement climatique, la situation s’est aggravée: les épicéas se retrouvent aujourd’hui dans des conditions trop chaudes et trop sèches pour eux. Ce double facteur — plantations «hors station» et réchauffement — a fragilisé ces forêts.
Le stockage du carbone par les forêts a globalement augmenté, mais leur capacité de stockage diminue d’année en année. Comment l’interpréter?
S.W.: Trois éléments entrent en jeu: la production de bois, les prélèvements et la mortalité. La production a légèrement diminué, de 4%. Les arbres sont plus nombreux, mais produisent moins de bois à l’hectare. Parallèlement, la mortalité a explosé et les prélèvements ont augmenté, notamment à cause des coupes sanitaires destinées à limiter la propagation des scolytes. Résultat: le bilan carbone reste positif, mais nettement moins favorable qu’auparavant.

STÉPHANIE WURPILLOT
«Les arbres souffrent, se dégradent lentement, et il est difficile de savoir combien survivront.»
Cette tendance risque-t-elle de se poursuivre?
S.W.: Pour certaines essences, oui. La mortalité du frêne ou du châtaignier ne semble pas près de s’arrêter. Pour l’épicéa, la situation s’améliore un peu, mais beaucoup d’arbres se retrouvent désormais «hors station», c’est-à-dire dans un environnement qui ne leur convient plus. On parle parfois de tempête silencieuse pour décrire ce phénomène: les arbres souffrent, se dégradent lentement, et il est difficile de savoir combien survivront. Certaines zones ne stockent déjà plus de carbone; c’est le cas, par exemple, de forêts récemment ravagées ou replantées après des tempêtes. Mais tout n’est pas noir: à mesure que les jeunes arbres grandissent, ces zones peuvent redevenir positives. Globalement, la France reste un puits de carbone, mais la tendance est à la baisse. D’autres pays du nord de l’Europe sont déjà passés en source de carbone, c’est-à-dire que leurs forêts émettent plus qu’elles ne captent.
La forêt pourrait donc cesser d’être notre «alliée climatique»…
S.W.: Le puits de carbone décroît. Certes, nous restons positifs, avec environ 39 millions de tonnes de CO2 séquestrées par an entre 2015 et 2023. Mais la chute est vertigineuse: entre 2005 et 2013, cette capacité atteignait 63 millions de tonnes par an.
Que peut-on faire pour ralentir, voire inverser ce phénomène?
S.W.: Planter aujourd’hui, c’est anticiper le climat dans cinquante ou cent ans. Nous avons publié une étude intitulée «Le carbone dans les forêts françaises en 2050», qui explore différents scénarios selon les niveaux de récolte, de reboisement ou de réchauffement. Les projections évoquent une hausse des températures d’environ +4°C d’ici 2100, ce qui exclut certaines essences. Des essais sont menés avec des espèces venues de régions plus méridionales, mieux adaptées aux futurs climats. Les plantations ne représentant que 14% des forêts françaises, il faut aussi favoriser la régénération naturelle.
>> Pour en savoir davantage <<
CHIFFRES
La forêt progresse de 90.000ha par an.
Elle couvre 17,6 millions d’hectares.
La France compte 11,4 milliards d’arbres.
Le volume de bois vivant sur pied est estimé à 2,9 milliards de mètres cubes.
Le volume total de carbone stocké est de 2,8 milliards de tonnes.

